Quand aller à l’école est dangereux
Par Nicolas
Travail d’accompagnement des droits humains en Palestine/Israël :
Dans le cadre du Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et en Israël (EAPPI) du Conseil œcuménique des Églises : accompagnement protecteur des agriculteurs×trices et des écoliers×ères, monitoring de checkpoints, observation des violations quotidiennes des droits humains, coopération et échange avec les organisations de paix locales ; travail de documentation, de compte-rendu et de sensibilisation.« Make your presence felt »
À 7h du matin, nous nous sommes rendus avec notre chauffeur palestinien à l’école primaire et secondaire de Tuq’u et avons été accueillis, comme souvent, non seulement par des enseignant·e·s et des élèves palestinien·ne·s chaleureux, mais aussi par l’armée israélienne. Les soldats israéliens avaient garé leur jeep à côté de l’entrée de l’école primaire, bien qu’il n’y ait pas de colons israéliens à protéger à des kilomètres à la ronde. Et pourtant, il y a des raisons pour lesquelles ils patrouillent presque quotidiennement devant les écoles palestiniennes. Leur devise est « Make your presence felt » : les Palestinien·ne·s doivent ressentir l’occupation quotidiennement, non seulement physiquement mais aussi psychiquement. Un sentiment que chaque enfant en Cisjordanie connaît et avec lequel il est impossible de faire autrement.
C’est ainsi que d’innombrables élèves palestinien·e·s sont confrontés, avec peur, à l’occupation israélienne sur le chemin de l’école, en passant tôt le matin devant de jeunes soldats lourdement armés avec leur jeep. Beaucoup de leurs connaissances et de leurs proches ont déjà été arrêtés sur ce même chemin de l’école ou dans la cour de récréation et ont déjà vu cette jeep de l’intérieur de l’école. Les enfants sont souvent accusés d’avoir lancé des pierres. Après quelques jours de détention, ils·elles sont généralement libéré·e·s contre une caution de plusieurs centaines de francs. Les enfants ne bénéficient que de peu de droits procéduraux. Ainsi, selon le droit militaire israélien, aucun avocat n’est autorisé à être présent lors du premier interrogatoire de l’enfant.
Peu à peu, les élèves n’étaient plus pour moi des enfants palestinien·e·s comme les autres, mais des visages familiers que je me réjouissais de revoir et qui me saluaient avec des sourires, des gestes chaleureux et de nombreux « high-five ». J’ai d’autant plus souffert avec eux lorsque le personnel enseignant présent m’a informé des arrestations qui avaient eu lieu. La semaine précédente, il y en avait eu trois. Les raisons en étaient inconnues. On ne savait pas non plus où ils se trouvaient. Nous avons réitéré au corps enseignant et aux membres de la famille qu’il était possible de faire appel à l’organisation « Defence for children international » (DCI), qui offre un soutien juridique gratuit dans de telles affaires. Après une courte partie de volleyball, nous avons repris la route.
Violents affrontements
L’après-midi – sur le chemin de l’école à Al-Khader – nous avons été pris dans un violent affrontement entre des élèves palestinien·e·s et l’armée israélienne. À environ 200 mètres de l’école, nous avons rencontré d’un côté des élèves et de l’autre, deux soldats israéliens. Les deux groupes se provoquaient mutuellement par des gestes et des paroles. Le visage recouvert d’un kufiya, les élèves ont ramassé quelques pierres sur le sol et les ont lancées en direction des deux soldats. Ces derniers s’en sont amusés à distance et ont fait signe aux enfants de s’approcher, tout en pointant leurs armes sur les élèves qui s’approchaient. La situation menaçait de dégénérer.
Moins de deux minutes plus tard, nous avons vu des dizaines d’enfants et de jeunes courir dans deux rues latérales. Deux jeeps militaires ont foncé à toute vitesse dans notre direction, poursuivant les enfants dans les rues et lançant des grenades assourdissantes. À pied, quelques soldats israéliens ont sécurisé les environs et ont pénétré dans certaines maisons. Des enfants se sont enfuis des maisons en courant, fuyant les soldats et les détonations des grenades assourdissantes. En taxi, nous sommes passés aussi discrètement que possible devant la jeep militaire et avons vu des soldats israéliens arrêter un garçon et le faire monter dans la voiture. Soudain, un soldat a lancé une sorte de bombe fumigène dans notre direction, qui a atterri sur le toit d’une voiture qui passait par là. Nous étions à cinq mètres de là. La situation devenant trop critique, nous avons quitté les lieux.
Possibilités et limites de l’observation des droits humains
Souvent, nous ne pouvons pas empêcher l’escalade de la violence et les violations des droits humains par notre seule présence. Dans ces situations, nous sommes à chaque fois fortement liés au principe de non-intervention. Mais nous pouvons observer, rapporter et montrer notre solidarité. Ainsi, nous rendons visite aux familles dont les enfants ont été arrêtés. Nous les écoutons et leur montrons qu’elles ne sont pas seules. Dans la mesure du possible, nous agissons comme médiateurs et médiatrices et mettons les personnes concernées en contact avec des organisations locales qui peuvent leur apporter un soutien concret et spécifique. Nous rentrons quotidiennement nos rapports dans un système qui est également à la disposition d’organisations internationales comme l’ONU ou le CICR. Nous recevons en outre des délégations internationales, rendons compte de la situation sur place et effectuons un travail de sensibilisation partout dans le monde. La communauté internationale doit savoir quelles sont les conséquences de l’occupation israélienne sur la vie quotidienne des Palestiniens et des Palestiniennes.
Quelques jours plus tard, nous nous sommes rendus pour la dernière fois à l’école primaire pour faire nos adieux. Dans deux jours, de nouveaux accompagnateurs·trices des droits humains assureront à nouveau une « présence protectrice » devant les écoles. Nous avons attendu que les enfants aient terminé leur appel matinal (chant de l’hymne national, mouvements gymniques et lecture du Coran). Nous sommes restés à côté de la porte d’entrée et avons distribué des « high-five » aux quelque 200-250 jeunes élèves qui passaient devant nous ; un bel au revoir. À ce moment-là, j’ai su que ce qui me manquerait le plus, ce serait les innombrables « school runs », les élèves et les enseignant·e·s Nous avons bu une dernière tasse de thé ensemble avant de reprendre le chemin de la maison.